Livre – Les quatre guerres de Poutine !

20 novembre 2020

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Le Kremlin (c) Unsplash

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Livre – Les quatre guerres de Poutine !

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Voici un livre sévère, sans concession, que celui de l’historien Sergueï Medvedev. Né en 1966, il s’est spécialisé dans la période post-soviétique qu’il examine au scalpel en mettant l’accent sur les aspects les plus difficiles, sinon les plus critiquables de la Russie actuelle.

Sa critique s’inscrit peut-être dans la lignée d’auteurs du Journal de Saint-Pétersbourg à Moscou comme Tchaadaïev qui dénonçait le patriotisme russe comme étant de nature schizophrène, qui osa aimer la Russie tout en gardant les yeux ouverts et lucides. Il est vrai qu’il a existé pendant des siècles une schizophrénie propre à la Russie où le pouvoir est séparé du pays par le mur dentelé du Kremlin et où les classes cultivées ont été étrangères au peuple et habituées à avoir honte de la Russie barbare, tout en restant patriote. Comme le disait Alexandre Pouchkine, le grand poète national, « je méprise bien sûr, ma patrie de la tête aux pieds, mais je me fâche si un étranger partage ce sentiment avec moi ». Dommage, au passage, que l’auteur ou Galia Ackermann, qui connait fort bien le pays n’aient pas donné l’origine de cette citation qui en dit long sur la psyché russe.

Mais s’il en reste encore quelque chose, doit-on encore la tenir pour entièrement actuelle ? Car si la démocratie russe n’observe pas tous les canons de la démocratie occidentale, encore que l’on puisse discuter sur la pureté de celle-ci au vu des réactions de Donald Trump au lendemain du scrutin du 3 novembre ou des libertés prises par Boris Johnson avec les traités signés, il paraît bien hasardeux de comparer la Russie de Poutine au régime stalinien ou à l’autocratie russe de droit divin.

On peut par ailleurs émettre quelque doute sur le titre du livre « les quatre guerres ». On sait bien qu’Emmanuel Macron a employé le terme de « guerre » dans le cas du Covid- 19, voulant par là mobiliser la population et lui inculquer l’idée du danger, mais cette façon de présenter les choses est loin de faire l’unanimité. Il en va de même du livre de Medvedev, le terme de guerre est peut-être forcé.

Cela dit, il est vrai que la Russie de ce début du XXIe siècle mène quatre combats ou fait face à quatre défis, dans le sens où l’entendait le célèbre historien Toynbee, épreuve décisive à relever pour sauvegarder sa place ou sauvegarder son rang.

Le premier est territorial. En Ukraine, en Géorgie, en Syrie, dans l’Arctique, le « néo-impérialisme » russe projetterait sa puissance militaire et son savoir-faire diplomatique. Doit-on pourtant mettre tous ces conflits sur le même pied ? Loin de là ! Dans le cas de l’Arctique, il n’est guère question de combat, encore moins de guerre, mais la Russie, comme tous les Etats côtiers de l’océan glacial, ne cherche, conformément à la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, qu’à faire reconnaître ses droits à l’extension de sa ZEE, au-delà des 200 milles. Cependant la décision ne relève pas d’elle, mais de la commission d’experts de l’ONU. La « guerre hybride « à l’est de l’Ukraine est peut-être le seul exemple controversé, où se mêlent bien des considérations contradictoires.

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Le deuxième combat est de nature symbolique. La forteresse du Kremlin, les missiles nucléaires, les Topol – M longs de 25 mètres, munis d’une ogive de 500 kilotonnes, font la fierté du pays tout comme les défilés militaires chaque 9 mai, célébrant la victoire à l’issue de la Grande guerre patriotique. Et le patriotisme incarne la création de cette nouvelle identité. Un des chapitres du livre consacré à la coupe du monde de football de 2018 est intitulé « le football comme guerre hybride ». C’est tout de même aller un peu loin. Même les critiques les plus sévères de Poutine ont reconnu l’excellence de l’organisation, l’ambiance festive, et les multiples rencontres entre la jeunesse russe et celles des nombreux visiteurs.

Le troisième combat est « biopolitique », c’est la guerre pour le corps. Il cible la sphère privée des citoyens. L’orientation sexuelle, le rapport à la religion et à l’éducation, les contacts avec l’étranger, deviennent des enjeux publics. La croisade pour la pureté a commencé il y a une dizaine d’années.

Plus intéressant encore est le quatrième combat qui est mémoriel. Celui-ci est plus récent et porte sur ce que l’on dénomme le révisionnisme historique, portant surtout sur les conséquences de la conférence de Munich, de septembre 1938, du pacte Ribbentrop-Molotov du 23 août 1939, puis principalement de l’attitude polonaise durant cette période. Il s’agit de pages tragiques, encore brûlantes. On sait que le massacre de Katyn, perpétré par le NKVD à l’encontre de milliers d’officiers polonais, que Staline a imputé aux nazis, ne fut reconnu par Gorbatchev qu’en 1990. La réhabilitation à peine rampante de Staline, la tendance à étouffer les traumatismes du passé, visent à ne mettre l’accent que sur les pages lumineuses et glorieuses du passé. La Russie a connu tant de traumatismes durant ce funeste XXe siècle, qu’il est assez normal qu’elle veuille s’en débarrasser. Mais celui-ci ne manquera pas de resurgir d’une façon ou d’une autre.

Sergueï Medvedev a certainement raison d’estimer que la journée du 21 août, lorsque le peuple de Moscou s’est opposé aux putschistes, aurait dû être choisi comme fête nationale, comme celle du peuple et non des élites. Pourtant a-t-il pris en compte que c’est aussi la date de l’intervention, en 1968, de l’armée rouge en Tchécoslovaquie. Cela prouve la difficulté d’établir une histoire, une mémoire émotionnelle, réunissant l’ensemble de la société. Riche, incisif, très documenté, excessif parfois, l’ouvrage de Sergueï Medvedev, aborde une foule de questions touchant à tous les aspects de l’être russe que l’on croit proche, mais qui révèle encore tant d’inconnus, d’imprévus et d’heureuses surprises.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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